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EASP/ESD 2014 : "Enseigner les arts témoins de l’histoire aux XVIIIe et XIXe siècles au collège : histoire et littérature"

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I. Éléments de présentation de la situation professionnelle : Zola raconte la vie des mineurs.

−         Document 1 : Ressources pour faire la classe au collège

Histoire-géographie éducation civique Du siècles des Lumières à l’âge industriel Histoire - 4e

Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative DGESCO – IGEN (2011).  www.eduscol.education.fr/prog

−         Documents 2 : Manuel Histoire-Géographie, 4ème, Hatier, M. Ivernel et B. Villemagne (dir.), 2011, p. 128.

 

II. Éléments d’analyse scientifique et méthodologique de la situation professionnelle : Les historiens et la fiction.

−         Document 3 : Alain Corbin, « Les historiens et la fiction », Le Débat 3/ 2011 (n° 165), p. 57-61.

 

III.  Éléments d’analyse de la dimension civique de la situation professionnelle : Pourquoi des œuvres littéraires peuvent-elles être des ressources en éducation civique ?

Document N° 4 : Extraits du programme d’Éducation Civique – 4e « Libertés, droit, justice » (Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative -DGESCO – IGEN- juillet 2011) www.eduscol.education.fr/prog

 

 

Document N°1 : Ressources pour faire la classe au collège

Histoire-géographie éducation civique Du siècles des Lumières à l’âge industriel Histoire - 4e

Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative DGESCO – IGEN (2011).  www.eduscol.education.fr/prog

Thème transversal :

Les arts témoins de l’histoire aux XVIIIe et XIXe siècles

PROBLEMATIQUES

La nouveauté et l’originalité de l’histoire des arts sont d’instituer les arts comme objet d’étude scolaire. Ce nouvel objet d’étude est à la fois commun à plusieurs disciplines et intégré à l’enseignement de chacune d’elles. Il se déploie donc dans deux dimensions.

Dans la mise en œuvre du programme d’histoire par le professeur, l’approche historique est définie par le titre du thème transversal au programme : « Les arts, témoins de l’histoire des XVIIIe et XIXe siècles », par les capacités mises en œuvre et par le principe d’un itinéraire composé d’au moins une œuvre et/ou un artiste significatif pour chacune des parties du programme, choisi le professeur.

Dans une approche pluridisciplinaire qui doit être construite autour d’au moins un projet commun à plusieurs disciplines. Dans ce cadre, la découverte successive des œuvres doit fonder une culture sur la convergence et la confrontation des regards que chaque discipline porte sur elles. Par une réflexion et un travail communs, les professeurs doivent organiser cette convergence tout en identifiant clairement la contribution spécifique que chacune de leurs disciplines apporte à la compréhension du sens et de la signification des œuvres.

Document N°2 : M. Ivernel et B. Villemagne (dir.), Histoire-Géographie, 4ème, Paris, Hatier, 2011, p. 128

easp arts

Document N°3 : Alain Corbin, « Les historiens et la fiction », Le Débat 3/ 2011 (n° 165), p. 57-61.

Longtemps, les historiens de métier, tout en se disant soucieux de se plier aux impératifs de l’histoire méthodique, ont fait entrer, sans grande précaution, la littérature romanesque dans le corpus de leurs sources. Il suffit de lire les médiévistes du milieu du siècle dernier pour constater l’usage désinvolte qu’ils faisaient des romans de la Table Ronde ou des fabliaux. On ne se préoccupait guère, en ce temps, de la distinction plus tard opérée par Jacques Le Goff entre le réel, le miraculaire et le merveilleux. Les historiens du XIXe siècle, quant à eux, puisaient à pleins bras dans La Comédie humaine comme dans Les Rougon-Macquart afin d’étayer leur discours.

Ce n’est que vers le milieu des années 1970 que s’est imposée la précaution. Les premiers, les spécialistes de l’analyse littéraire ont sonné l’alarme. Ils se sont dits déçus de voir leurs collègues historiens recourir sans ménagement aux textes de fiction. C’est alors que l’on a fait remarquer avec insistance que la littérature romanesque n’était jamais preuve de pratique, même lorsque les auteurs revendiquaient la peinture de la réalité, multipliant les effets de réel. On mit donc en garde contre les erreurs résultant des tactiques d’illusion du vrai, habilement utilisées par les romanciers qui se posaient en peintres de leur temps.

[…] Le plus naïf des historiens sait désormais qu’il lui faut prendre d’élémentaires précautions lorsqu’il entend faire entrer la littérature de fiction dans l’éventail de ses sources. L’essentiel relève de tout autre chose ; et, tout d’abord, de l’importance prise par l’histoire des représentations, de l’attraction exercée sur les chercheurs par celle des imaginaires d’autrefois. […] l’essentiel étant, dès lors, de reconstituer, à la manière du des Esseintes de Huysmans, la façon dont sont accueillis les messages sensoriels à une époque donnée, dont ils suscitent des émotions qui possèdent, elles-mêmes, leur histoire, dont se tissent les sentiments caractéristiques d’un temps et d’un milieu.

Une telle démarche, qui définit ce que David Howes considère comme un « sensual turn » de la discipline historique, tandis que d’autres parlent aussi d’un « tournant émotionnel », pose comme essentiel l’évitement de l’anachronisme psychologique, de l’indignation rétrospective comme de la posture compassionnelle. […]

Un tel déplacement du centre de gravité de la recherche historique, une telle évolution interne conduisent à souligner les insuffisances des sources jusqu’alors considérées comme essentielles et imposent de nouveaux recours.[…]

La tentation du recours à la littérature est donc aisée à justifier. L’historien se trouve ici fort éloigné des frilosités de l’histoire méthodique et de ses exigences concernant le statut de la preuve, issu de la sphère juridique.[…]

Tout compte fait, il est sans doute, pour l’historien, une manière de faciliter à son lecteur le grand voyage dans le passé, de se faire son mentor, de lui dévoiler les logiques de la différence, de lui expliquer ce qui constitue spontanément à ses yeux de l’étrangeté, de le mettre en garde contre l’indignation sans, pour autant, s’abandonner à la fiction.

Document N° 4 : Extraits du programme d’Éducation Civique – 4e « Libertes, droit, justice » (Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative -DGESCO – IGEN- juillet 2011) www.eduscol.education.fr/prog

I - L’exercice des libertés en France

Thème 2 – L’usage des libertés et les exigences sociales

Supports d’etude possibles

[…]

2. La liberté d'expression peut faire l'objet d'une étude en prenant appui sur l'histoire des arts. Certaines œuvres ont posé le problème de la liberté de l'artiste par rapport à la norme sociale avant d'être intégrées dans le patrimoine culturel (ex : Le mariage de Figaro de Beaumarchais, Les sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick...). On peut également demander aux élèves de faire des recherches sur un État qui ne reconnaît pas les Droits de l’Homme.

Éléments de corrigé :

Enseigner les arts témoins de l’histoire aux XVIIIe et XIXe siècles au collège :

histoire et littérature.

NB. La partie sur la dimension civique du sujet n’est pas traitée.

 

La problématisation du traitement du sujet peut se faire à partir du document 3 : A. Corbin appelle à ne plus considérer la littérature de fiction comme une source « essentielle » et non questionnée et avance que la littérature n’est pas une preuve de pratique. Comment confronter ces « précautions » rappelées par A. Corbin à la situation professionnelle d’enseigner - à partir du cas de Germinal de Zola - les arts témoins de l’histoire ? La notion de « témoin de l’histoire » appliqué aux arts comme la mise en œuvre proposée par la page de manuel semblent assez peu concernées par ces analyses d’A. Corbin. Jusqu’où ces derniers peuvent-elles être entendus et servir à réfléchir plus avant sur l’enseignement de ce thème ?

 

I. ANALYSE DE LA SITUATION PROFESSIONNELLE : ZOLA RACONTE LA VIE DES MINEURS », UN DOCUMENT LITTÉRAIRE PRIVILÉGIÉ POUR ÉTUDIER LES OUVRIERS DU XIXe SIÈCLE ? 

 

            1/ Les arts, objet d’étude scolaire comme « témoins de l’histoire ».

 

• Les arts, dont la littérature, sont abordés dans les programmes comme des « témoins » avec les deux dimensions épistémologiques propres à la notion de témoignage : le lien avec une expérience vécue et son caractère « subjectif ».

• En référence au socle commun l’étude de Germinal s’inscrit dans la construction d’une culture littéraire.

Ces propositions marquent donc une problématisation de la situation professionnelle qui s’opère à deux niveaux différents : l’une avec la notion de témoin (la littérature « témoigne » de la réalité historique) et l’autre avec celle de culture littéraire (la littérature est une composante de la culture).

-> Ces caractéristiques s’appliquent-elles à la situation professionnelle ? L’écriture littéraire de Zola dans Germinal relève-t-elle d’un vécu en contact « direct » avec le réel qui lui permettrait de le « refléter » et d’en rendre compte ? La notion de témoin appliqué à l’œuvre littéraire ne relève-t-elle d’une épistémologie contestable du « reflet » ?

-> La question du manuel « Quels renseignements » sur les mineurs nous donne le roman de Zola relève tout à fait de cette épistémologie réaliste du reflet et de cette usage de la littérature comme source d’information.

• La notion « d’œuvre ou d’artiste significatif » semble bien convenir à Zola pour le XIXe siècle et pour le monde ouvrier avec Germinal, devenu une œuvre-icône de la dure condition ouvrière au XIXe siècle.

 

• Les programmes et leurs commentaires évoquent en outre la fonction propre de l’approche historique de la littérature par rapport aux autres disciplines  pour la « compréhension du sens et de la signification des œuvres ». Quelle est cette spécificité de l’approche historique ?

 

-> La problématique de l’œuvre d’art comme  « témoin » pose donc d’emblée – en référence aux débats historiens nourris sur ce point – la question de la « véracité » de l’œuvre littéraire. C’est précisément cette « véracité » que revendique le roman réaliste dont Zola est un des plus éminents représentants.

 

            2/ Le roman réaliste ou naturaliste entend rendre compte du monde social : le cas Zola

 

• DOC. 3 : « Les historiens du XIXe siècle, quant à eux, puisaient à pleins bras dans La Comédie humaine comme dans Les Rougon-Macquart afin d’étayer leur discours ».

Pour les historiens le roman réaliste est une « source tentante » (J. Lyon Cæen & D. Ribard) car il contient de nombreuses descriptions détaillées des milieux où évoluent les personnages : ils sont à la fois une documentation et un répertoire de description sociale. Exemple d’Adeline Daumart utilisant les romans de Balzac pour étudier la bourgeoisie parisienne.

• Ce qui renforce l’usage de Germinal comme source d’information sur le monde ouvrier du Second Empire c’est le travail minutieux d’enquête de Zola de février à mars 1884, au moment où débuta la grande grève des mineurs d’Anzin, cette enquête est évoquée dans la page du manuel. Zola regroupa ses notes dans Mes notes sur Anzin.  Il y a donc « spontanémet assimilation de ce travail d’enquête au travail de l’historien.

• Cette revendication de « réalisme » touche également l’écriture même chez Zola : il s’agit pour le romancier de produire un « effet de réel » (l’expression est de Roland Barthes, elle est reprise dans le document 3) selon lequel il y a un lien direct entre la réalité et l’écriture qui en rend compte.

 

Compléments de corrigé

 

« Depuis le début de février 1884, il a formé le projet d’aller passer quelques jours dans le pays des mines, suivant le conseil que lui avait donné Alfred Giard, le député socialiste de Valenciennes, rencontré dans l’été 1883. Or, Alfred Giard lui a parlé en détail de la situation des mineurs du bassin de Valenciennes. Et les événements vont soudain le tirer d’embarras : le 21 février, éclate une nouvelle grève des douze mille mineurs d’Anzin. Giard, qui ne semble pas être au courant, lui annonce qu’il doit se rendre le 23 à Valenciennes pour assister à une réunion de cultivateurs et de sucriers : il y restera deux ou trois jours et se fera un plaisir de guider lui-même Zola à travers le « pays noir ». L’occasion offerte en convergence par le déclenchement de la grève et le voyage du député est trop belle. Après les sources imprimées, l’heure est aux sources directes, au regard et à l’écoute de l’enquêteur. Le samedi 23 février, Zola prend le train pour Valenciennes en compagnie d’Alfred Giard, et peut-être d’Alexandrine Zola. Il descend à l’hôtel du Commerce, à l’emplacement de la grande poste actuelle, non loin du centre. Les carreaux des mines d’Anzin et de Denain sont à deux pas : Zola les arpentera huit jours durant, sous la conduite, successivement, d’Alfred Giard puis de son frère Jules, un négociant valenciennois, et aussi de plusieurs ingénieurs de la compagnie. Il en reviendra, le dimanche 2 mars, avec une vision totalement renouvelée de la population ouvrière et de ses luttes. Mes notes sur Anzin, rapportées de son voyage, formeront le cœur du matériel documentaire de Germinal.[…]

Sur l’histoire des grèves qui ont périodiquement arrêté ou troublé le travail des mines d’Anzin, ni les mineurs, ni les ingénieurs, ni les administrateurs ne se sont beaucoup étendus. Mais Zola a pu rencontrer, dans l’entourage d’Alfred et de Jules Giard, d’autres informateurs, peut-être même des avocats qui avaient autrefois défendu des mineurs grévistes devant le tribunal correctionnel de Valenciennes. Il a pris quelques notes, d’origine inconnue, sur le conflit qui avait éclaté à Denain en 1880. Et il s’est fait raconter la grève d’octobre 1866 à Anzin et Denain. Un mouvement assez brutal : pressions violentes contre les « jaunes », manifestations sur les routes, tapages, bris de vitres, rixes, participation des femmes, tentative d’extinction des feux d’une fosse à Denain, envoi de troupes en provenance de Valenciennes, Douai, Cambrai et Arras, transport du préfet, du général et du procureur général sur les lieux, arrestation et inculpation de « meneurs ». L’avocat, Me Foucart, avait plaidé la faiblesse des salaires, l’enrichissement de la compagnie, ses manigances pour diminuer les tarifs réels sous divers prétextes. Le récit de Germinal présente des analogies frappantes avec l’histoire de cette grève de 1866, à laquelle celle de 1884 ne ressemblait plus tout à fait. Et, au moins, Zola tenait là un modèle exactement situé dans la période où s’enfermait son Histoire naturelle et sociale d’une famille. La grève de 1866 n’avait pas duré longtemps, à la différence de celle de 1884, qui allait s’éterniser, mais elle se prêtait davantage à une dramatisation des péripéties ».

Extraits de : Mitterand Henri, « Zola à Anzin : les mineurs de Germinal », Travailler 1/ 2002 (n° 7), p. 37-51

 

            3/ La littérature : une source comme les autres  pour l’histoire ?

 

DOC. 3. « Longtemps, les historiens de métier, tout en se disant soucieux de se plier aux impératifs de l’histoire méthodique, ont fait entrer, sans grande précaution, la littérature romanesque dans le corpus de leurs sources ».

• Voir l’exemple déjà cité du roman réaliste pour le XIXe siècle ou encore l’usage du livre de Georges Perec, Les choses. Une histoire des années 1960 et son usage par les historiens pour évoquer la société de consommation. C’est ce que J. Lyon-Cæen nomme la « tentation documentaire » de l’usage de la littérature comme source par l’histoire.

-> Pourtant comme le rappelle A. Corbin ce type de source doit, selon les canons classiques de la méthode historique codifiée au XIXe siècle, être soumise à la critique historique en posant la question : les auteurs littéraires peuvent-ils atteindre l’objectivité ?

 

• La littérature est une source pour l’histoire intellectuelle : la littérature considérée comme expression des « idées » d’une époque. C’est le domaine d’une histoire littéraire centrée sur les œuvres, sans grand lien avec son ancrage social.

• C’est contre ce type d’histoire des idées « désincarnée » que l’histoire sociale a entendu étudier la littérature comme une des voies d’accès pour connaître  la vie sociale d’une époque en développant une approche en quelque sorte « extérieure » en replaçant la littérature dans son contexte social.

-> La littérature comme objet d’histoire sociale : L. Febvre

Febvre appuie la programme d’histoire littéraire de Gustave Lanson d’étudier la littérature dans son contexte social, les conditions sociales de l’activité littéraire (institutions, conditions e production et de diffusion des écrits littéraires, relations sociales des auteurs…). Febvre entend défendre le programme lansonien des rapports entre « littérature et vie sociale », démarches qu’ils appliquent dans ses études sur Marguerite de Navarre et Rabelais.

-> On peut trouver une postérité et des développements dans ce type d’approche avec les travaux sur l’histoire du livre et de la lecture de Henri-Jean Martin et Roger Chartier. Avec les travaux de sociologues dans la lignée de ceux de P. Bourdieu, on assiste à une véritable « sociologisation » de l’histoire de la littérature : le « champ littéraire » (P. Bourdieu) est étudié comme un milieu social spécifique : dans son historicité, dans sa genèse et sa structuration.

Ces approches relèvent donc d’une contextualisation sociale de l’activité littéraire et reste donc relativement peu concernées par le « contenu » des œuvres.

-> Pour la situation d’enseignement ce type d’approche sociologisante peut avoir un intérêt en étudiant des aspects du milieu littéraire auquel appartient Zola par ex. et la réception de ses romans (avec des extraits par ex. d’articles de presse critiquant les aspects trop « crus » et « charnels » (voire sexuels) de sa prose…).

 

Compléments de corrigé :

• « Lire le roman comme une source pour l’histoire revient, le plus souvent, à y repérer les représentations d’un événement, à y saisir des figures, typiques ou marginales, d’une époque, à analyser des descriptions, des situations, des segments d’intrigue, des discours tenus par des personnages ou par le narrateur comme autant de signes pointant vers une réalité extérieure à l’œuvre et la documentant, bien ou mal. Documenter le passé (la France de l’entre-deux-guerres, l’Union soviétique stalinienne, Rome occupée par les Allemands) en se servant de ces fictions qui semblent restituer avec tant de vivacité des événements, des décors, des manières d’être, des expériences partagées ou singulières, des rapports à la famille, à la morale, à la politique ou à la sexualité, est donc une tentation omniprésente ».

Extraits de : Judith Lyon-Caen « Présentation », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 4/2011 (n° 112), p. 3-9.

 

II. HISTOIRE ET LITTÉRATURE : DES « LIAISONS DANGEREUSES » ?

 

            1/ L’histoire et la littérature comme écriture : contre l’histoire trop « littéraire »…

 

NB. Bien distinguer la question de la littérature comme source (d’informations sur les sociétés passées) et la littérature comme écriture.

 

• S’éloigner de la littérature pour faire une histoire plus scientifique : une « obligation professionnelle » (P. Boucheron)

-> L’exemple de la génération « méthodique » : contre les « microbes littéraires »

Histoire scientifique et histoire littéraire se séparent. L’histoire littéraire devient un domaine d’étude  à part avec ses démarches, problématiques et méthodes propres où l’analyse des œuvres et de leur autonomie tient une place prépondérante.  

-> Les Annales contre l’histoire-récit : L. Febvre dénonce l’histoire de ses prédécesseurs comme événementielle, trop descriptive et pas assez explicative et la qualifie de « mise en pages chronologique, tout au plus, d’événements de surface, le plus souvent fils du hasard. Disons : un récit ». La volonté de faire une histoire plus scientifique implique donc pour les Annales un éloignement avec l’écriture trop narrative, plus encore la dimension proprement littéraire de l’écriture de l’histoire n’est pas réfléchie comme telle.

 

 

Compléments de corrigé :

Patrick Boucheron : « Méfiez-vous de l'imagination  ! » Telle serait, pour Lucien Febvre, l'appréciation que les historiens rêveraient d'inscrire en tête de la copie de l'historien Jules Michelet, en donnant « un deux de conduite à l'élève Michelet avec, si l'on veut, un accessit de français ». En exprimant cette méfiance vis-à-vis de la littérature, tantôt soupçonneuse, tantôt condescendante, les historiens se plieraient à une sorte d'obligation professionnelle. Le roman ne fut-il pas longtemps, au XIXe siècle, le grand rival de l'histoire pour saisir la réalité du monde social  ? On dira sans doute que l'ambition balzacienne n'est plus guère de saison, et qu'au moment où l'histoire se construisait comme discipline au tout début du XXe siècle, la raison romanesque se défaisait d'une certaine prétention documentaire, que l'on peut dire réaliste ou naturaliste, à produire - comme Émile Zola dans Les Rougon-Macquart - une connaissance objectivée de la société ».

Extraits de : Patrick Boucheron « Ce que la littérature comprend de l'histoire », Sciences humaines 8/2010 (N° 218), p. 17-17.

 

            2/ La « redécouverte » de la part littéraire dans l’écriture de l’histoire.

 

• « Retour au récit » en histoire

-> Le « retour au récit contre une histoire trop « scientiste » ?

Dès les années 1970 Paul Veyne, Michel de Certeau ou encore Jacques Rancière prennent en compte dans leur réflexion la dimension « écriture » et donc littéraire du travail de l’historien. Le philosophe Paul Ricœur insiste sur l’identité « narrative » de l’histoire. C’est ce que l’historie Lawrence Stone appelle le « retour au récit » (1979), qu’il explique par les désillusions par rapport aux ambitions de l’histoire qui se voulait « scientifique » (dont l’histoire des Annales).

 

 

Compléments de corrigé :

 

L’enjeu épistémologique du relativisme : le « tournant linguistique ».

Voir l’article « Tournant linguistique » dans Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, 2 tomes, Gallimard, Folio/Histoire, 2010.

 

Ivan Jablonka :

« Carlo Ginzburg en Italie et Roger Chartier en France se sont attachés à contrecarrer le scepticisme que véhiculent les tenants du « linguistic turn » : tout en reconnaissant les apports de Hayden White, et notamment la base métahistorique qui gît au fondement de toute œuvre historique, ils refusent d’assimiler la narration historique à une fiction verbale et rappellent la visée de connaissance propre à la démarche de l’historien, ainsi que sa dépendance par rapport à l’archive, aux règles du métier et aux critères de scientificité. Ce scientisme tempéré, qui fait la synthèse entre le relativisme anglo-saxon et l’objectivisme des années 1870-1890, permet de reconnaître des formes communes à l’histoire et à la littérature, mais sans sacrifier les exigences de l’une aux libertés de l’autre. C’est précisément cette position médiane qui permet d’étudier la littérature en historien ».

Extraits de : Bantigny Ludivine, Jablonka Ivan, « L'historien et l'œuvre littéraire », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 1/ 2007 (no 93), p. 183-195.

 

• Les usages cognitifs du récit et de la fiction par l’historien

 

-> « Les romanciers font des découvertes techniques que les historiens peuvent utiliser comme des dispositifs cognitifs », a écrit Carlo Ginzburg, qui ajoutait  : « Il y a donc un défi réciproque, un va-et-vient entre fiction et histoire. »

 

-> Un « tournant littéraire » en histoire ?

La littérature est aussi pour l’historien une pratique d’écriture qui peut être un modèle (cf. l’influence de Chateaubriand sur l’écriture d’Augustin Thierry). Certains historiens (comme Peter Burke et C. Ginzburg) proposent pour renouveler les formes d’écriture de l’histoire d’abandonner le modèle d’écriture du roman réaliste du XIXe siècle pour s’approprier certaines modalités des nouvelles écritures romanesques du XXe siècle ou encore de se tourner vers les techniques cinématographiques (en se référant notamment à Siegfried Kracauer). Mais plus fondamentalement, n’y a-t-il pas une « tentation littéraire » pour l’historien ?

-> Enjeu pour la situation professionnelle : la capacité de raconter et les apports des récits littéraires pour l’écriture de récits par les élèves.

 

La comparaison entre récit de fiction et récit historien et le dépassement de la condamnation du récit de fiction pour subjectivité.

 

Patrick Boucheron : « La neutralité de l’écriture académique est évidemment illusoire : l’historien écrit, s’engage tout entier dans l’acte même d’écrire, et il y a quelque naïveté scientiste à croire qu’il puisse exister un « langage commun des historiens » dans lequel ces derniers pourraient échanger leurs résultats de manière fiable et transparente » (Patrick Boucheron « On nomme littérature la fragilité de l'histoire », Le Débat 3/2011 (n° 165), p. 41-56).

 

• Antoine Liliti et Étienne Anheim :

« Certes la dénonciation des thèses fictionnalistes au nom du projet de vérité de l’histoire (voir le débat Hayden White/Carlo Ginzburg) pèse beaucoup en faveur de la méfiance historienne à l’égard de la fiction et partant du récit, mais les réflexions sur les usages cognitifs du récit par l’historien amènent à poser la question : comment l’historien peut-il utiliser les ressources du récit ? Plus généralement certains historiens s’interrogent sur les potentialités cognitives du récit et créditent « la littérature d’une capacité à produire, par les formes d’écriture qui lui sont propres, un ensemble de connaissances, morales, scientifiques, philosophiques, sociologiques et historiques » ( Étienne Anheim et Antoine Lilti « Introduction », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2/2010, p. 253-260).

 

Ivan Jablonka :

« Depuis les années 1970, et sous l’influence de penseurs comme Ricœur, de Certeau ou Rancière, les historiens se sont montrés sensibles aux aspects les plus littéraires de leur démonstration – style, tropes, poétique, procédés rhétoriques, etc. Ils ont cessé de considérer leurs livres comme des vitres à travers lesquelles la « réalité » des temps passés pourrait s’observer, vierge de toute contagion, et reconnaissent que le travail d’écriture et de mise en intrigue est partie prenante de l’opération historiographique. Cette conviction selon laquelle il y a une « écriture historienne », aussi instituée que l’écriture littéraire ou scientifique, met en évidence le lien qui unit l’histoire et la littérature : dans les deux cas, un auteur soumet à un lecteur un récit d’actions représentées. En Europe, toutefois, les historiens récusent l’idée que cette interpénétration serait totale. Carlo Ginzburg en Italie et Roger Chartier en France se sont attachés à contrecarrer le scepticisme que véhiculent les tenants du « linguistic turn » : tout en reconnaissant les apports de Hayden White, et notamment la base métahistorique qui gît au fondement de toute œuvre historique, ils refusent d’assimiler la narration historique à une fiction verbale et rappellent la visée de connaissance propre à la démarche de l’historien, ainsi que sa dépendance par rapport à l’archive, aux règles du métier et aux critères de scientificité. Ce scientisme tempéré, qui fait la synthèse entre le relativisme anglo-saxon et l’objectivisme des années 1870-1890, permet de reconnaître des formes communes à l’histoire et à la littérature, mais sans sacrifier les exigences de l’une aux libertés de l’autre. C’est précisément cette position médiane qui permet d’étudier la littérature en historien ».

 

 

 

            3/ En quoi la littérature est-elle porteuse d'un savoir historique ?

 

Les approches dites « documentaires » et celles qui sont en quelque sorte « extérieures » de la littérature (qui s’intéressent aux institutions littéraires, à l’histoire sociale et politique de leurs auteurs, ou aux conditions de la publication et de la lecture) sont « dépassées » quand on s’interroge sur « les savoirs » concernant le monde social dont la littérature est porteuse…

 

La littérature plus vraie que l’histoire ?

-> Le succès de 3 romans, Les Bienveillantes de Jonathan Littell (2006), Jan Karski de Yannick Haenel (2009), HHhH de Laurent Binet (2010) et les débats qu’ils ont provoqués sont des symptômes de la recomposition contemporaine des liens entre histoire et littérature.

 

• Les limites de la « tentation documentaire » : dépasser l’usage du récit littéraire comme simple réservoir d’information pour l’analyser comme une « mise en discours du social » et en faire un véritable objet social.

 

-> Parce qu’elles manifestent des représentations (comme l’évoque A. corbin dans le document 3 : « l’importance prise par l’histoire des représentations, de l’attraction exercée sur les chercheurs par celle des imaginaires d’autrefois ».), les œuvres littéraires peuvent notamment servir à mieux connaître le système des représentations d’une époque ou d’un moment, comment les sociétés.

-> Plus encore les représentations du social à l’œuvre dans la littérature peuvent avoir à leur tour un effet sur la réalité sociale elle-même : ces visions du monde se diffusent elles-mêmes dans le monde social et contribuent donc à le façonner. C’est ainsi que Dominique Kalifa (L’Encre et le Sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque, Fayard, Paris, 1995) montre la parenté existant entre l’écriture des romans policiers et l’écriture qui rend compte des faits divers criminels, contribuant au même imaginaire social du crime au XIXe siècle.

-> Cette dernière notation peut s’appliquer au Germinal de Zola : dans quelle mesure Le roman Germinal a-t-il contribué à façonner, sur le long terme de sa réception,  un imaginaire social des ouvriers et de la grève au XIXe siècle ? (cf. La délégation de mineurs à l’enterrement de Zola, scandant « Germinal ! Germinal !).

 

Compléments de corrigé :

É. Anheim & A. Lilti :

« On a pu reprocher aux travaux des historiens sur la littérature de rester à l’extérieur des textes, en s’intéressant de préférence aux institutions littéraires, à l’histoire sociale et politique de leurs auteurs, ou aux conditions de la publication et de la lecture. Comme si les textes eux-mêmes, notamment les plus consacrés, restaient la chasse gardée des littéraires, qui eux-mêmes conservaient une grande prudence quant à l’usage des sciences sociales. La remise en cause de la nouvelle critique par les assauts conjoints de l’histoire sociale de la culture et d’une histoire littéraire renaissante n’a donc pas, en dépit de quelques heureuses tentatives, aboli ce partage aussi nettement qu’on aurait pu le souhaiter.

[…] Car si on l'envisage [i.e. la littérature] non seulement comme une source mais comme une ressource d'intelligibilité du passé, la littérature devient un objet en partage, qui concerne l'ensemble des historiens. Ceux qui s'intéressent à la société bourgeoise du XIXe siècle ne traqueront pas seulement dans l'œuvre d'Honoré de Balzac quelques effets de réel destinés à illustrer un propos général connu par ailleurs  ; ils y chercheront les catégories du social et les représentations collectives explicites ou implicites qui façonnent leur propre conception historique. Car tel est l'efficace de la littérature : par les moyens propres de l'écriture, c'est-à-dire par la mise en récit d'une sociologie implicite, elle peut transformer le monde social qu'elle prétend décrire ».

 

P. Boucheron : « Ainsi la méthode critique appliquée aux sources littéraires ne consiste-t-elle pas nécessairement à récuser leur témoignage, mais bien à affiner leur portée historique. Or celle-ci est souvent plus grande qu'on le pense d'ordinaire. En confrontant systématiquement les récits littéraires aux résultats archéologiques, les historiens des sociétés gréco-romaines réévaluent bien souvent - en matière de localisation et de datation notamment - la confiance qu'ils accordent à la valeur documentaire des sources littéraires. L'exemple le plus célèbre est sans doute celui des fouilles menées depuis vingt ans sur les flancs du Palatin, dont la stratigraphie confirmerait plutôt la chronologie de la fondation de Rome telle que les récits traditionnels du mythe romuléen en portent la mémoire. Dans bien des cas, pour l'historien aussi, la littérature dit le vrai.

Reste que cette vérité est toujours à construire : c'est lorsqu'ils ont compris que la poésie des troubadours ne disait rien des pratiques amoureuses des chevaliers mais, a contrario, tout de leurs frustrations émotionnelles et politiques sublimées par l'art courtois que les médiévistes ont trouvé l'une des clefs de la compréhension historique de la littérature médiévale. Celle-ci doit en effet le plus souvent être lue à rebours, comme une idéologie de compensation. Dès lors, la littérature chevaleresque offre plus et mieux à la compréhension historique que le pittoresque d'une description des cadres de vie  ; elle révèle des structures fondamentales de l'anthropologie du pouvoir qui demeureraient, sans elle, cachées ».

 


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